Dans la série Au même moment dans le passé : cette semaine, il y a 173 ans, en 1848, l’esclavage était aboli en Martinique (22 mai) et en Guadeloupe (27 mai). Ces journées de mai sont bien entendues fériées dans ces îles respectives en commémoration.
Et puisqu’on aborde esclavage et actualité, une exposition est en cours à Agde concernant un évènement historique improbable : Tromelin, l’île aux esclaves oubliés.
Intriguant ? Vous vous en doutez, ce n’est pas très gai, mais on vous assure que rocambolesque, ça l’est sacrément ! Allez, on vous raconte tout…
En juillet de l’an 1761, l’Utile, un navire de la compagnie française des Indes orientales fait naufrage, avec, dans ses cales, 160 esclaves malgaches achetés illégalement. Parce que oui, il y avait une réglementation apparemment. Voyez l’ironie. Il fallait être un navire négrier pour transporter des esclaves, sinon apparemment ça le faisait pas.
Le navire est destiné originellement à un accostage sur l’île Maurice (à l’époque Ile de France). Manque de pot, le capitaine, qui avait l’air d’en tenir une sacrée couche, décide de naviguer de nuit malgré les mises en garde de son premier pilote (ce sont les écrits attribués à l’écrivain de bord qui le disent, pas nous) et le bateau se mange le récif corallien. Qui n’est pas très digeste.
18 marins et passagers, et plus de 70 esclaves décèdent. Ces derniers, emprisonnés dans la cale, n’ont pu sortir du navire qu’une fois la coque disloquée.
Ceux qui le peuvent atteignent à la nage l’île de Sable, qui ne portait pas ce nom par hasard : à peu près 1km² de sable et c’est tout. Bon, quelques petites plantes pour faire joli quand même, mais pas un arbre. Bref, un endroit charmant pour passer quelques heures (et encore, ça dépend de l’ensoleillement), mais franchement, pas plus.
Une embarcation de fortune, qu’ils ont appelé La Providence (ça dépend pour qui, vous allez le voir), est construite avec les débris de l’Utile pour rallier Madagascar, mais n’est pas assez grande pour accueillir tout le monde.
La décision est prise, quelle surprise, de laisser les 80 esclaves restants sur l’île (les autres étant décédés de privations depuis) et Castellan, le premier lieutenant, leur promet de leur envoyer du renfort. La Providence quitte l’île le 27 septembre 1761.
Une fois arrivé à terre, l’équipage fait bien passer le message, mais le gouverneur, un certain Desforges-Boucher, dont une partie du nom n’est pas usurpée, semble considérer que ce qu’il se passe sur l’île de Sable reste sur l’île de Sable… 11 années plus tard, en 1772, Castellan, qui n’est pas un rapide, est préoccupé semble-t-il par la promesse qu’il a faite (et pas vraiment tenue). Il envoie une missive au secrétaire d’État à la Marine, qui appelle au sauvetage des naufragés. Des secours sont envoyés en 1775 sans qu’ils n’arrivent à accoster. Avance rapide sur les autres tentatives infructueuses. Play. En novembre 1776, enfin, soit après 15 années d’abandon, Tromelin, l’enseigne du vaisseau la Dauphine, envoie une chaloupe sur l’île récupérer les rescapés du naufrage. Sur les 80 esclaves présents lors du départ de La Providence en 1761, il reste… sept femmes et un enfant de 8 mois.
Au XIXe siècle on renomme l’île de Sable d’après ce fameux Tromelin. Au lieu de « l’île de la Honte », allez savoir pourquoi…
L’exposition présente, en plus du détail des évènements, grandement synthétisés ici, le contexte et les recherches historiques, archéologiques et environnementales menées à Tromelin (archives et fouilles terrestres et sous-marines), qui ont permis de reconstituer les circonstances du naufrage et les conditions de vie des survivants sur l’île de Sable. L’exposition qui a commencé le 19 mai est en cours jusqu’au 25 septembre à l’Office du Tourisme d’Agde.
Pour en savoir plus, vous pouvez visitez le site de l’INRAP dédié à ces recherches :
https://www.inrap.fr/magazine/Tromelin/Accueil-dossier-archeologie-sur-l-ile-de-Tromelin#L’arch%C3%A9ologie%20dans%20l’Oc%C3%A9an%20Indien